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Décision du Médiateur européen clôturant son enquête sur la plainte 1953/2008/MF contre le Parlement européen
Decision
Case 1953/2008/MF - Opened on Wednesday | 30 July 2008 - Recommendation on Monday | 07 September 2009 - Decision on Monday | 18 October 2010
Le plaignant est un fonctionnaire du Parlement européen dont l’enfant est handicapé. Du fait de cet enfant handicapé, le plaignant a reçu la double allocation enfant à charge de l’Union européenne prévue par le Statut du personnel ainsi qu’une allocation relevant du niveau national.
Considérant que les deux allocations étaient de même nature, le Parlement a déduit le montant de l’allocation nationale de la double allocation de l’Union européenne. Le Parlement a pris cette mesure en dépit du fait que le plaignant lui ait demandé de ne pas prendre de décision avant que la Cour de justice européenne n’ait fini d’examiner un cas similaire dans le cadre d’une affaire en cours. Quelques mois plus tard, la Cour a jugé que les deux allocations en question n’étaient pas de même nature. Sur la base de ce jugement, le plaignant a demandé que le Parlement lui verse rétroactivement la double allocation enfant à charge, ce que le Parlement a refusé au motif que le jugement de la Cour ne s’appliquait qu’aux parties impliquées dans la procédure judiciaire.
Dans sa plainte, le plaignant a estimé que le Parlement n’a pas agi équitablement et dans le respect du principe d’égalité de traitement. Selon lui, le Parlement n’a pas tenu suffisamment compte du jugement susmentionné lorsqu’il a refusé de lui verser rétroactivement la totalité de la double allocation enfant à charge.
Le Médiateur a estimé que, bien que le Parlement ne soit pas juridiquement tenu d’appliquer le jugement concernant des fonctionnaires dans des situations similaires mais non parties à l’instance, il n’est pas juridiquement empêché d’appliquer l’interprétation que fait la Cour du droit européen concernant ces fonctionnaires. Cette option serait non seulement parfaitement légale, mais aussi conforme aux principes de bonne administration. Le Médiateur a jugé que le refus d’indemniser le plaignant pour déduction illégale de la double allocation enfant à charge de l’Union européenne est un exemple de mauvaise administration. Ce refus du Parlement est, selon lui, aggravé par le fait que le plaignant lui a spécifiquement demandé d’attendre le jugement de la Cour avant de procéder à la déduction, ce que le Parlement a manqué de faire.
Le Médiateur a dès lors formulé le projet de recommandation suivant: «Le Parlement doit rétroactivement verser au plaignant la double allocation enfant à charge pour la période du 1er mars 2004 au 1er avril 2005, c’est-à-dire la somme de 5 500 EUR».
Le Parlement a rejeté le projet de recommandation.
Le Médiateur a souligné l’importance sociale que revêtent les allocations versées aux parents d’enfants handicapés et a réaffirmé qu’il concluait qu’il y avait eu en l’espèce mauvaise administration. Il a clôturé le dossier par une remarque critique. Il a également informé la commission des pétitions du Parlement européen de la position adoptée par ses services administratifs en ce qui concerne les droits fondamentaux des enfants et des personnes handicapées.
Le contexte de la plainte
1. Le fils du plaignant est né en 1979, atteint d’un handicap mental.
2. Le plaignant est un fonctionnaire du Parlement européen. De 1992 à 2004, le Parlement lui a accordé, conformément à l’article 67, paragraphe 3, du statut[1], la double allocation mensuelle pour enfant à charge, d’un montant de 521 euros. En plus de cela, conformément à la loi luxembourgeoise du 16 avril 1979, le Fonds national de solidarité luxembourgeois versait au plaignant, en tant que représentant légal de son enfant handicapé, une indemnité spéciale pour enfant handicapé (dénommée ci-après «l’allocation luxembourgeoise»). Celle-ci se montait à 553 euros par mois.
3. Le 25 mars 2004, le chef de l’unité Droits individuels du Parlement a informé le plaignant que l’article 67, paragraphe 2, du statut[2] n’autorisait pas le cumul des allocations versées par l’Union européenne et celles provenant d’autres sources. L’allocation luxembourgeoise versée pour son enfant handicapé serait par conséquent déduite de la double allocation pour enfant à charge à compter du 1er mars 2004, ces deux allocations étant de même nature. Le plaignant n’a dès lors plus du tout bénéficié de la double allocation pour enfant à charge, puisque le montant de celle-ci était inférieur à celui de l’allocation luxembourgeoise.
4. Le 2 février 2004, un autre fonctionnaire du Parlement (M. W.), dont l’enfant est également atteint d’un handicap mental, a déposé une demande devant le Tribunal de première instance (dénommé ci-après «le TPI») à la suite de la décision du Parlement de déduire l’allocation luxembourgeoise de la double allocation pour enfant à charge versée par le Parlement (W. / Parlement)[3].
5. Le 16 juin 2004, le plaignant a saisi le Parlement d’une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut à l’encontre de sa décision du 25 mars 2004. Il contestait la déduction de l’allocation luxembourgeoise de la double allocation pour enfant à charge à laquelle il pouvait prétendre au titre du statut des fonctionnaires, et demandait à l’autorité investie du pouvoir de nomination de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt de l’affaire pendante précitée.
6. Par lettre du 27 septembre 2004, le Parlement a rejeté la réclamation du plaignant, au motif que les deux allocations étaient de même nature. Le Parlement a en outre refusé de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt de l’affaire pendante, mais n’a pas motivé sa décision.
7. Le TPI a rejeté la demande de M. W. Ce dernier a alors introduit un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes (dénommée ci-après «la CJCE»). Dans son arrêt du 18 décembre 2007[4] (dénommé ci-après l’«arrêt»), la CJCE a statué qu’au vu de son objet et du but qu’elle poursuivait, l’allocation luxembourgeoise pour enfant handicapé n’était pas de même nature que la double allocation pour enfant à charge accordée par le Parlement au titre de l’article 67, paragraphe 3, du statut. Le Parlement a été condamné à verser rétroactivement au requérant la double allocation pour enfant à charge, ainsi que les intérêts courus.
8. Le 21 janvier 2008, le plaignant a saisi le Parlement d’une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut. Sur base de l’arrêt, il demandait au Parlement le versement de la double allocation pour enfant à charge pour la période du 1er mars 2004 au 1er avril 2005, de même que les intérêts courus.
9. Le 7 février 2008, le plaignant a présenté une demande de versement de la double allocation pour enfant à charge sans déduction de l’allocation luxembourgeoise. Cela a été accordé au plaignant par décision du 4 mars 2008, avec effet à compter du 1er janvier 2008.
10. Le plaignant a introduit une nouvelle demande de versement des sommes déduites par le Parlement avant que l’arrêt ne soit rendu, entre le 1er mars 2004 et le 1er avril 2005. Ces sommes ont été déduites de la double allocation pour enfant à charge, sur la base de l’article 67, paragraphe 2, du statut.
11. Le 15 février 2008, le chef de l’unité Droits individuels du Parlement a rejeté la demande du plaignant au motif que l’arrêt concernant le paiement rétroactif ne concernait que les parties à ladite affaire et ne pouvait pas être appliqué au cas du plaignant. Le Parlement a ensuite déclaré que, le 4 mars 2008, le chef de l’unité Droits individuels a informé le plaignant qu’«il avait droit à la double allocation pour enfant à charge à compter du 1er janvier 2008».
12. Le 5 mars 2008, le plaignant a saisi le Parlement d’une deuxième réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut. Il y invoquait l’application erga omnes de l’arrêt.
13. Par lettre du 16 juin 2008, le Parlement a rejeté cette réclamation, au motif que l’arrêt ne pouvait pas être considéré comme un fait nouveau substantiel. Les délais de réclamation dans l’affaire du plaignant ne pouvaient dès lors pas être rouverts.
14. Le 9 juillet 2008, le plaignant a fait appel au Médiateur.
Le sujet de l’enquête
15. Dans la plainte qu’il a déposée, le plaignant a allégué que le Parlement n’a pas agi de manière équitable, ni en conformité avec le principe d’égalité de traitement. Pour étayer ses dires, le plaignant a avancé que le Parlement n’a pas dûment tenu compte de l’arrêt lorsqu’il lui a refusé le paiement rétroactif de la totalité de la double allocation pour enfant à charge pour la période durant laquelle cette allocation avait été réduite.
16. Le plaignant a demandé que le Parlement lui verse le montant qu’il a déduit, entre le 1er mars 2004 et le 1er avril 2005, de la double allocation pour enfant à charge accordée par le Parlement en raison de l’allocation luxembourgeoise dont il bénéficiait pour son fils handicapé.
L’enquête
17. Le 30 juillet 2008, le Médiateur a ouvert une enquête concernant l’allégation et la demande du plaignant.
18. Le 11 novembre 2008, le Parlement a fait parvenir son avis. Le Médiateur l’a transmis au plaignant en l’invitant à présenter ses observations, que ce dernier a communiquées le 25 novembre 2008.
19. Le 7 septembre 2009, après avoir étudié minutieusement cet avis et ces observations, le Médiateur a présenté un projet de recommandation conformément à l’article 3, paragraphe 6, de son statut.
20. Le Parlement a envoyé son avis motivé le 18 janvier 2010. Le Médiateur a transmis cette réponse au plaignant en l’invitant à présenter ses observations. Le plaignant les a transmises le 1er mars 2010.
L’examen et les conclusions du Médiateur
A. Allégation relative à l’inégalité de traitement
Les arguments présentés au Médiateur
21. Le plaignant a allégué que le Parlement n’a pas agi de manière équitable, ni en conformité avec le principe d’égalité de traitement. Pour étayer ses dires, le plaignant a avancé que le Parlement n’a pas dûment tenu compte de l’arrêt lorsqu’il lui a refusé le paiement rétroactif de la totalité de la double allocation pour enfant à charge pour la période durant laquelle cette allocation avait été réduite.
22. Le plaignant a demandé que le Parlement lui verse le montant qu’il a déduit, entre le 1er mars 2004 et le 1er avril 2005, de la double allocation pour enfant à charge accordée par le Parlement en raison de l’allocation luxembourgeoise dont il bénéficiait pour son fils handicapé.
23. Dans l’avis qu’il a rendu, le Parlement a déclaré avoir partiellement[5] rejeté la réclamation introduite par le plaignant le 27 septembre 2004 au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut. Sur la base de la jurisprudence constante en vigueur à l’époque, l’application de la règle de non-cumul des allocations posée à l’article 67, paragraphe 2, du statut était justifiée[6] puisque les deux allocations, de caractère comparable, poursuivaient le même objectif car «tant l’allocation statuaire que l’allocation luxembourgeoise vis[ai]ent clairement à fournir une aide pour faire face aux charges induites par l’assistance et les soins requis pour une personne lourdement handicapée». Toutefois, en 2004, le plaignant n’avait pas usé des voies de recours judiciaires mises à sa disposition en vertu de l’article 91, paragraphe 3, du statut[7], pour contester la décision du Parlement. Dès lors, sa situation était devenue définitive.
24. Dans l’affaire W. / Parlement, la CJCE a estimé que l’allocation luxembourgeoise n’était pas de même nature que la double allocation pour enfant à charge prévue à l’article 67, paragraphe 3, du statut. Le Parlement a été condamné à verser l’arriéré des allocations pour enfant à charge que le requérant, M. W., aurait dû percevoir depuis le 1er juillet 2003. À la lumière de l’arrêt, qui annulait celui du TPI[8], le Parlement a décidé de modifier sa pratique administrative.
25. Toutefois, le Parlement a estimé qu’il ne pouvait être obligé rétroactivement de payer au plaignant les allocations en question. L’arrêt ne s’appliquait pas à des tiers au procès, à l’égard desquels l’arrêt ne peut avoir d’incidences juridiques en termes de rétroactivité. L’arrêt n’était applicable qu’à l’égard des parties à l’instance.
26. Le Parlement a fait référence à la jurisprudence applicable en l’espèce[9], qui précise que les effets juridiques d’un arrêt annulant un acte ne se rapportent, outre aux parties, qu’aux personnes concernées directement par l’acte annulé. Un arrêt n’est susceptible de constituer un fait nouveau qu’à l’égard de ces personnes.
27. Le plaignant n’était pas partie à l’affaire W. / Parlement. Il n’était par conséquent pas directement concerné par l’acte annulé par la CJCE. Dès lors, l’arrêt ne constituait pas un fait nouveau. De plus, les délais permettant au plaignant d’introduire un recours contre le rejet de sa réclamation en 2004 avaient expiré. De ce fait, la décision administrative du 25 mars 2004 du Parlement est devenue définitive et ne peut plus être modifiée. Le plaignant ne peut se prévaloir, au nom du principe d’égalité de traitement, d’une application rétroactive de l’arrêt pour sa situation personnelle et prétendre au remboursement des sommes déduites du montant de la double allocation pour enfant à charge.
L’analyse du Médiateur conduisant à un projet de recommandation
28. Il était incontestable que l’arrêt annulant la décision du Parlement dans l’affaire W. et ordonnant le paiement rétroactif n’était juridiquement contraignant qu’à l’égard des parties à l’affaire. La jurisprudence constante est dès lors soumise aux limites personnelles, matérielles et temporelles du litige en question.
29. Toutefois, si l’arrêt n’a pas d’effet erga omnes direct de droit, il n’est pas exclu qu’il puisse avoir un effet erga omnes de fait. Bien que le Parlement ne soit pas juridiquement tenu d’appliquer l’arrêt à l’égard d’autres fonctionnaires se trouvant dans des circonstances similaires mais n’étant pas parties à l’affaire, il n’est certainement pas juridiquement empêché d’appliquer à ces mêmes fonctionnaires l’interprétation que fait la Cour du droit européen. En plus d’être parfaitement légale, cette décision serait également conforme aux principes de bonne administration[10].
30. Au paragraphe 99 de l’arrêt[11], la CJCE a jugé que l’allocation luxembourgeoise pour personne handicapée et la double allocation européenne pour enfant à charge, versée aux parents d’un enfant handicapé, n’étaient pas de même nature. La décision du 25 mars 2004 du Parlement était dès lors illégale puisqu’elle considérait que l’allocation luxembourgeoise, accordée à l’enfant handicapé du plaignant, et l’allocation européenne, accordée au plaignant en tant que père de cet enfant, étaient de même nature. Dans sa réponse au plaignant datée du 16 juin 2008, le Parlement a, avec raison, fait référence à l’affaire Centeno Mediavilla[12], confirmant que la légalité d’une mesure européenne doit être évaluée sur la base des faits et de la loi existants à la date de son adoption. Toutefois, en 2004, les faits pertinents étaient les mêmes que dans la présente affaire, à savoir que le fils du plaignant souffrait d’un handicap et avait le droit de percevoir l’allocation luxembourgeoise. Le Médiateur n’a connaissance d’aucune affaire antérieure à l’arrêt où la double allocation européenne pour enfant à charge et l’allocation luxembourgeoise auraient été comparées au sens de l’article 67, paragraphe 2, du statut.
31. Conformément à la jurisprudence constante, les actes déclaratifs administratifs illégaux peuvent être retirés avec effet rétroactif. À la lumière de l’affaire Hoogovens[13], la règle voulant que la révocation ne soit permise que dans un délai raisonnable ne semble pas nécessairement s’appliquer à ces actes déclaratifs illégaux[14].
32. Le Médiateur a constaté qu’à cet égard, le Parlement a modifié de manière adéquate sa pratique administrative à compter du jour où l’arrêt a été rendu. Toutefois, si le Parlement a révoqué sa mesure illégale avec un effet immédiat, il a refusé de le faire rétroactivement, et donc de rembourser au plaignant les sommes illégalement déduites. Le Médiateur a pourtant estimé que dans la présente affaire, il serait raisonnable que la révocation soit rétroactive afin de respecter son propre objectif.
33. Tout d’abord, il apparaît que seuls le plaignant et M. W. ont des enfants bénéficiant de l’allocation luxembourgeoise. Ils étaient dès lors les seuls fonctionnaires du Parlement susceptibles de tirer profit de la révocation à l’époque et à l’avenir. Il a déjà été remédié à la situation de M. W. Le Médiateur a décidé que, pour remédier aux actions illégales qu’il a entreprises à l’égard du plaignant, le Parlement devait révoquer sa décision avec un effet rétroactif, comme il l’a fait dans le cas de M. W., après l’arrêt.
34. Deuxièmement, si l’objectif de la double allocation européenne pour enfant à charge est d’aider les fonctionnaires à faire face aux lourdes charges découlant des soins à prodiguer à un enfant handicapé, l’allocation luxembourgeoise vise à couvrir les coûts permettant à la personne handicapée de s’épanouir en société. Les deux allocations poursuivent un objectif social fort. Par les actions illégales qu’il a entreprises dans la présente affaire, le Parlement a nié cet objectif et compromis les attentes légitimes de la personne handicapée, désireuse de mener une vie meilleure. Le Médiateur a rappelé à cet égard que l’article 26 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne indique que l’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté.
35. Enfin, dans sa réponse du 26 juin 2008, le Parlement a fait référence au principe de sécurité juridique pour justifier la non-révocation avec effet rétroactif de la décision illégale en question. Le Médiateur n’a pas été convaincu que le non-respect par le plaignant d’un délai pour introduire un recours devant la Cour suffise à justifier que ses intérêts et, en fin de compte, ceux de son fils handicapé, soient sacrifiés. Comme la Cour l’a déclaré dans son arrêt «de référence», rendu dans l’affaire S.N.U.P.A.T., concernant le retrait d’une mesure administrative illégale, «le principe du respect de la sécurité juridique, tout important qu’il soit, ne saurait s’appliquer de façon absolue, mais [...] son application doit être combinée avec celle du principe de la légalité ; [...] la question de savoir lequel de ces principes doit l’emporter dans chaque cas d’espèce dépend de la confrontation de l’intérêt public avec les intérêts privés»[15]. Dans le même sens, la CJCE a conclu dans l’arrêt que : «En ce qui concerne la détermination des droits du requérant, il y a lieu de relever que la décision de déduction notifiée le 18 septembre 2000 est devenue définitive avec tous ses effets pécuniaires, faute d’avoir été attaquée dans le délai du recours contentieux. En revanche, il y a lieu de décider que le Parlement versera au requérant les sommes qui ont été déduites à tort de son traitement à compter du 1er juillet 2003, date de prise d’effet de la décision du 26 juin 2003, assorties des intérêts».
36. Le Médiateur a dès lors estimé que le refus de dédommager le plaignant pour la déduction illégale de l’allocation européenne, qui privait d’une aide financière un parent d’enfant handicapé déjà soumis à de lourdes charges, n’était pas conforme aux principes de la bonne administration. Cela constituait un cas de mauvaise administration, aggravé par le fait que dans la première réclamation qu’il avait introduite en vertu de l’article 90, paragraphe 2, le plaignant avait spécifiquement demandé au Parlement d’attendre l’arrêt rendu dans l’affaire W. avant de procéder à la déduction, ce que le Parlement avait refusé.
37. Au vu de ce qui précède, le Médiateur a formulé le projet de recommandation suivant, conformément à l’article 3, paragraphe 6, du statut du Médiateur européen.
«Le Parlement devrait verser rétroactivement au plaignant la double allocation pour enfant à charge pour la période allant du 1er mars 2004 au 1er avril 2005, soit la somme de 5 500 euros.»
Les arguments présentés au Médiateur suite à son projet de recommandation
L’avis motivé du Parlement
38. Le Parlement a tout d’abord indiqué respecter pleinement les commentaires du Médiateur, compte tenu notamment du fait que la présente affaire concerne les intérêts d’un particulier. Il a néanmoins refusé de se conformer au projet de recommandation.
39. Le Parlement a déclaré que la recommandation du Médiateur de rembourser les sommes déduites du montant de la double allocation pour enfant à charge risquait de concerner plus de deux fonctionnaires.
40. La situation administrative et juridique du plaignant est devenue définitive car il ne l’a pas contestée dans les délais prévus par le statut. Il ressort de la jurisprudence des juridictions de l’Union européenne que les délais d’introduction des réclamations et des recours, fixés aux articles 90, paragraphe 2[16], et 91, paragraphe 3[17], du statut, sont d’ordre public. Ils ont été établis en vue de garantir la clarté et la sécurité juridiques.
41. Il convient de comprendre le principe de la sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit européen, en ce sens que l’autorité administrative doit assurer la stabilité juridique des différentes situations individuelles dans le temps et veiller à ce que les règles applicables soient claires.
42. Les arrêts annulant une mesure administrative individuelle ne peuvent pas s’appliquer à la situation d’une personne n’étant pas partie à l’affaire. Le plaignant n’était pas partie à l’arrêt, pas plus qu’il n’était directement concerné par la mesure annulée par la CJCE.
43. Au vu de l’importance du principe de la sécurité juridique et, en particulier, de l’exigence de certitude dans les situations juridiques, le Parlement a statué qu’il n’était pas favorable à l’application de l’arrêt au cas du plaignant.
44. La situation du plaignant porte sur un droit individuel conféré par le statut. En 2007, les juridictions européennes ont rendu d’autres arrêts qui ont conduit le Parlement à modifier sa pratique administrative avec effet à compter de la date des arrêts. Si le Parlement se prononçait en faveur du plaignant, cette décision risquerait de créer un précédent au sein de l’institution.
45. En effet, en vertu de la jurisprudence des juridictions de l’Union[18], si l’arrêt devait s’appliquer aux fonctionnaires se trouvant dans une situation similaire, cela rouvrirait les délais leur permettant de contester des décisions similaires, qu’elles aient été rendues après ou avant la date de l’arrêt.
46. Par ailleurs, l’instauration de délais arbitraires concernant les effets d’une décision judiciaire pourrait être discutable ou contestable si l’application rétroactive de ces délais avait pour conséquence d’enfreindre les principes de la bonne gestion financière et administrative.
47. Le Parlement a également souligné que cette décision pourrait avoir de très lourdes implications budgétaires dans d’autres domaines où les juridictions européennes ont obligé une autorité investie du pouvoir de nomination à modifier son interprétation du statut. Le Parlement a renvoyé à l’arrêt Cristina Asturias Cuerno / Commission[19], dans lequel le Tribunal de première instance a annulé la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination de ne pas accorder une indemnité de dépaysement aux fonctionnaires ayant travaillé comme assistants parlementaires durant une période spécifique. Si le Parlement appliquait rétroactivement l’arrêt à la situation du plaignant, les fonctionnaires concernés par l’affaire susmentionnée pourraient également demander au Parlement le paiement rétroactif de leurs indemnités de dépaysement.
48. L’affaire S.N.U.P.A.T., à laquelle le Médiateur fait référence dans son projet de déclaration, dispose que le principe de la sécurité juridique n’est pas absolu et que son application doit être combinée avec celle du principe de la légalité. La CJCE a statué dans le même arrêt que le principe de la sécurité juridique peut ne pas être appliqué si l’appréciation de l’importance respective des intérêts en cause «[appartient] en premier lieu à l’auteur de cette décision». Par ailleurs, l’affaire S.N.U.P.A.T. reposait sur une situation factuelle et juridique différente de celle du plaignant.
49. Dans la présente affaire, l’appréciation des intérêts va dans le sens de l’intérêt public, de manière à ne pas courir le risque que le Parlement soit obligé de retirer une mesure administrative et de payer rétroactivement des sommes dues en cas d’annulation d’une décision affectant les intérêts personnels d’un fonctionnaire par les juridictions de l’Union européenne.
50. Le Parlement n’a pris aucun engagement vis-à-vis du plaignant quant au report de sa décision en raison d’une affaire pendante devant les juridictions de l’Union européenne.
L’analyse du Médiateur
51. Le Médiateur déplore vivement le fait que le Parlement ait fait preuve de juridisme vis-à-vis d’une plainte déposée par le parent d’un enfant handicapé, sans tenir compte du fait que les droits accordés par le statut n’ont pas tous le même poids.
52. Le Médiateur ne juge pas utile de poursuivre l’échange d’arguments juridiques avec le Parlement. Comme dans son projet de recommandation, le Médiateur répète que bien que le Parlement ne soit pas juridiquement tenu d’appliquer l’arrêt à l’égard d’autres fonctionnaires se trouvant dans des circonstances similaires mais n’étant pas parties à l’affaire, il n’est pas juridiquement empêché d’appliquer à ces mêmes fonctionnaires l’interprétation que fait la Cour du droit européen.
53. Le Médiateur souhaite formuler deux remarques à cet égard. Il rappelle tout d’abord la jurisprudence constante[20], dont le Parlement a certainement connaissance, qui dispose que l’interprétation du droit européen faite par la Cour a un effet rétroactif, à moins que la Cour ne limite dans le temps les effets de son arrêt sur l’interprétation en question[21]. Le Médiateur constate que dans l’arrêt, la Cour n’a pas fixé de limites de ce type quant à l’interprétation des articles du statut concernés.
54. Deuxièmement, il souligne que les décisions de la Cour portant sur des réclamations individuelles concernant des allocations familiales destinées aux fonctionnaires ayant des enfants handicapés revêtent une importance particulière, même si elles n’ont pas d’effet erga omnes. La présente affaire porte sur les droits fondamentaux des enfants[22] et des personnes handicapées[23]. Ils sont codifiés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et sont juridiquement contraignants. Le Médiateur ne considère pas que l’impact social de l’indemnité de dépaysement versée à un fonctionnaire suite au fait qu’il réside dans la capitale européenne et non dans son propre pays est identique à celui de la double indemnité pour enfant à charge versée aux fonctionnaires devant prendre soin d’un enfant handicapé. Le Médiateur constate à cet égard que, dans l’arrêt, la Cour suprême de l’Union européenne a décidé de ne pas suivre l’opinion de son avocat général mais de statuer en faveur du parent d’un enfant handicapé.
55. Le Parlement semble penser que s’il accepte la recommandation du Médiateur, les nombreux fonctionnaires concernés par l’arrêt, ou par d’autres arrêts rendus dans des affaires auxquelles ils n’étaient pas parties et dans lesquelles le Parlement a été condamné en raison de l’illégalité de ses actions, demanderont à recevoir le même traitement. Le Médiateur souligne toutefois que l’acceptation de son projet de recommandation par le Parlement ne constituerait un précédent que pour des situations similaires. Or, même si le Parlement estime que plus de deux fonctionnaires se trouvent dans des situations similaires, le Médiateur est convaincu que leur nombre est quand même très limité.
56. Le Parlement a choisi de ne pas suivre le projet de recommandation formulé par le Médiateur en faveur du parent d’un enfant handicapé. Le Parlement représente les citoyens européens et devrait comprendre et respecter la situation de ces parents mieux que toute autre institution. Il ne l’a pourtant pas fait. Par ailleurs, le Parlement a de toute évidence agi de manière inéquitable en n’accédant pas à la demande du plaignant de suspendre sa décision tant que l’arrêt n’aurait pas été rendu. Le Médiateur n’a d’autre choix que de clôturer l’affaire et de formuler une critique ci-dessous.
57. Eu égard à ce qui précède, le Médiateur juge également approprié d’informer la commission des pétitions du Parlement de la position de ses services administratifs concernant les droits fondamentaux des enfants et des personnes handicapées.
B. Conclusions
Sur la base de son enquête, le Médiateur clôture cette plainte en formulant la critique suivante :
Le refus du Parlement de dédommager le plaignant pour la déduction illégale de l’allocation européenne, qui prive d’une aide financière un parent d’enfant handicapé déjà soumis à de lourdes charges, n’est pas conforme aux principes de la bonne administration. Ceci est aggravé par le fait que dans la première réclamation qu’il avait introduite en vertu de l’article 90, paragraphe 2, le plaignant avait spécialement demandé au Parlement d’attendre l’arrêt rendu dans l’affaire W. avant de procéder à la déduction, ce que le Parlement avait refusé.
Il s’agit d’un cas de mauvaise administration.
Le plaignant et le Parlement seront informés de cette décision.
P. Nikiforos Diamandouros
Fait à Strasbourg, le 18 octobre 2010
[1] L'article 67, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires indique que : «L'allocation pour enfant à charge peut être doublée par décision spéciale et motivée de l'autorité investie du pouvoir de nomination prise sur la base de documents médicaux probants établissant que l'enfant en cause impose au fonctionnaire de lourdes charges résultant d'un handicap mental ou physique dont est atteint l'enfant.»
[2] L'article 67, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires indique que : «Les fonctionnaires bénéficiaires des allocations familiales visées au présent article sont tenus de déclarer les allocations de même nature versées par ailleurs, ces allocations venant en déduction de celles payées en vertu des articles 1er, 2 et 3 de l'annexe VII.»
[3] Affaire T-33/04, Weißenfels / Parlement européen, Rec. 2006, p. FP-I-A-2-1.
[4] Affaire C-135/06 P, Weißenfels / Parlement européen, Rec. 2007, p. I-12041.
[5] Le Parlement a déclaré, dans sa réponse à la réclamation déposée par le plaignant au titre de l'article 90, paragraphe 2, qu'il annulait la décision de réduire l'allocation luxembourgeoise à la simple allocation obligatoire pour enfant à charge lorsque les enfants du plaignant auraient accompli leurs 26 ans, au motif que ces deux allocations n'étaient pas de même nature.
[6] Affaire T-147/95, Pavan / Parlement, Rec. 1996, p. FP-I-A-291.
[7] L’article 91, paragraphe 3, du statut indique que : «Le recours visé au paragraphe 2 doit être formé dans un délai de trois mois. Ce délai court :
- du jour de la notification de la décision prise en réponse à la réclamation,
- à compter de la date d'expiration du délai de réponse, lorsque le recours porte sur une décision implicite de rejet d'une réclamation présentée en application de l'article 90 paragraphe 2 ; néanmoins, lorsqu'une décision explicite de rejet d'une réclamation intervient après la décision implicite de rejet mais dans le délai de recours, elle fait à nouveau courir le délai de recours.»
[8] Voir la note de bas de page n° 4.
[9] Ordonnance du TPI du 11 juillet 1997 : affaire T-16/97, Chauvin / Commission, Rec. 1997, p. II-681, paragraphe 43.
[10] Le Médiateur rappelle que, par le passé, le Parlement a appliqué erga omnes à ses fonctionnaires l'interprétation juridique faite par une juridiction européenne dans une affaire donnée dont elle avait été saisie. Cela a été le cas pour les mesures transitoires prévues à l'annexe XIII du nouveau statut, ce qui confirme que, contrairement à ce que le Parlement estime à l'heure actuelle, il est tout à fait légal qu'une institution applique l'interprétation juridique faite par une ou plusieurs juridictions européennes.
[11] Affaire C-135/06 P, Weißenfels / Parlement européen, Rec. 2007 p. I-12041, notamment le paragraphe 99 :
«Dès lors, les allocations statutaire et luxembourgeoise ne sont pas de même nature au sens de l'article 67, paragraphe 2, du statut.»
[12] Affaire C-443/07 P, Centeno Mediavilla e.a. / Commission, arrêt du 22 décembre 2008, non encore publié au Recueil.
[13] Affaire 14/61, Koninklijke Nederlandsche Hoogovens en Staalfabrieken N.V. / Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, Rec. 1962, p. 485.
[14]Voir l’affaire susmentionnée, paragraphe 6 :
«[...] Ici, du reste, une distinction s'impose, parce que le contenu et la portée de la règle selon laquelle le retrait ne saurait être effectué que dans un délai raisonnable varient selon les cas. [...] En effet, cette règle, qui peut être d'un intérêt considérable lorsqu'il s'agit de décisions constitutives de droits subjectifs, perd cependant en importance lorsqu'il s'agit de décisions recognitives... le "délai raisonnable" ne saurait avoir, en l'espèce, une importance décisive, mais constituait seulement l'une des composantes de l'intérêt particulier de la requérante au respect du principe de la sécurité juridique dont la haute autorité devait tenir compte, comme elle l'a fait.»
[15] Affaires jointes 42 et 49/59, SNUPAT / Haute Autorité, Rec. 1961 p.103, paragraphe 78.
[16] L’article 90, paragraphe 2, du statut stipule que : «Toute personne visée au présent statut peut saisir l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief, soit que ladite autorité ait pris une décision, soit qu'elle se soit abstenue de prendre une mesure imposée par le statut. La réclamation doit être introduite dans un délai de trois mois. Ce délai court :
– du jour de la publication de l'acte s'il s'agit d'une mesure de caractère général,
– du jour de la notification de la décision au destinataire [...],
– à compter de la date d'expiration du délai de réponse lorsque la réclamation porte sur une décision implicite de rejet au sens du paragraphe 1.»
[17] Voir la note de bas de page n° 7.
[18] Affaires C-389/98, P Gevaert / Commission, Rec. 2001 p. I-65, paragraphes 49, 55 et 56, et T-242/94, Sergio del Plato / Commission, Rec. 1994 p. II-961, paragraphes 18 et 20 : «Une décision concernant un ou plusieurs collègues d’un requérant peut […] constituer un fait nouveau substantiel justifiant le réexamen de son cas, lorsque les situations en présence sont similaires et, notamment, lorsque les motifs à la base de la décision susceptible d’être adoptée à la suite de ce réexamen ne sont pas différents des motifs ayant justifié l’adoption de la décision dont l’intéressé se réclame en tant que fait nouveau.»
[19] Voir l’affaire T-473/04, Cristina Asturias Cuerno / Commission, arrêt du 19 juin 2007, non encore publié au Recueil. Cette affaire portait sur l’octroi d’une indemnité de dépaysement aux fonctionnaires ou aux autres agents ayant travaillé comme assistants parlementaires durant la période de référence fixée à l’article 4, paragraphe 1, alinéa a), de l’annexe VII du statut.
[20] Le Médiateur rappelle que, dans les discussions juridiques, les renvois à la jurisprudence concernant des principes du droit européen sont faits par analogie et non parce que les circonstances de l’affaire à laquelle il est renvoyé sont identiques à celles de l’affaire en jeu.
[21] Affaire C24/86, Blaizot / Université de Liège et autres, Rec. 1988 p. I-379, paragraphe 27, et affaires citées.
[22] Voir l’article 24 («Droits de l’enfant») de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (http://www.europarl.europa.eu/charter/default_fr.htm) :
«1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.
2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.»
[23] Voir l’article 26 («Intégration des personnes handicapées») de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :
«L'Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté.»
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