You have a complaint against an EU institution or body?

Available languages: 
  • Français

Décision du Médiateur européen concernant la plainte 54/2001/ADB contre la Commission européenne


Strasbourg, le 6 février 2002

Monsieur,

Le 4 janvier 2001, vous m'avez adressé, en ma qualité de Médiateur européen, une plainte concernant les critères contenus dans un dossier d'appel d'offres pour le poste de chef de mission d'un chantier de travaux publics au Mali.

J'ai transmis votre plainte au Président de la Commission européenne le 20 mars 2001. La Commission m'a envoyé son avis le 17 mai 2001 et je vous l'ai transmis en vous invitant à formuler toutes observations que vous jugeriez utiles, ce que vous avez fait le 16 juillet 2001.

Je vous informe à présent des résultats de mon enquête.


LA PLAINTE

Le plaignant est un ingénieur expérimenté qui a travaillé sur de nombreux projets de travaux routiers dans les pays en développement. En 1999, la société allemande Beller Consult a participé à l'appel d'offres et a emporté le marché pour la surveillance de la deuxième tranche d'un projet de construction de route au Mali (Route nationale 24), financé par le Fonds européen de développement (FED). Beller Consult avait dressé une liste des personnes sélectionnées pour participer au projet. Un ingénieur avait été choisi comme chef de mission mais il est apparu qu'il ne pouvait plus assumer cette mission. Beller Consult a donc proposé le poste au plaignant. Le plaignant allègue toutefois que la délégation de la Commission européenne au Mali a rejeté la participation du plaignant au projet car il ne possédait pas de diplôme universitaire.

Le plaignant s'est alors tourné vers la Commission pour se plaindre de la situation. La Commission a estimé avoir agi conformément aux procédures FED applicables et a refusé de réviser sa position.

Le 4 janvier 2001, le plaignant a donc adressé une plainte au Médiateur européen et présenté les griefs suivants :

1. Le récent rejet de la participation du plaignant au projet par la Commission, rejet invoquant la nature de son diplôme, était incohérent par rapport aux pratiques antérieures de la Commission. Entre 1992 et 1994, le plaignant avait travaillé sur un projet identique financé par la Commission.

2. En exigeant un diplôme universitaire pour les ingénieurs, la Commission exerce une discrimination à l'encontre de ceux qui ne sont pas diplômés mais qui sont plus âgés et expérimentés ainsi qu'à l'encontre de ceux qui ont obtenu un diplôme dans un institut public de travaux publics.

3. La Commission a outrepassé ses pouvoirs en rejetant la participation du plaignant au projet. Ce choix avait été fait par l'autorité contractante (dans ce cas, le ministre des Travaux publics et des transports de la République du Mali).

L'ENQUÊTE

L'avis de la Commission

Les commentaires de la Commission européenne sont récapitulés ci-dessous.

1. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice européenne, les autorités de chaque État ACP ont compétence pour préparer, négocier et conclure les marchés publics de travaux financés par la Communauté dans le cadre de la coopération financière et technique instituée par les convention de Lomé. Les interventions des organes communautaires "tendent uniquement à constater que les conditions de financement communautaire sont réunies"(1). À ce titre ils ont "le droit mais également le devoir de veiller à ce que les dispositions procédurales pertinentes soient respectées"(2).

La Commission précise que les termes de référence des appels d'offres varient d'un projet à l'autre. Concernant le projet mené entre 1992 et 1994, les termes de référence n'exigeaient pas de diplôme universitaire. C'est pourquoi la candidature du plaignant au poste de chef de mission avait été acceptée sur la base de son CV et de son diplôme non universitaire. Pour le projet de construction de la route nationale 24, au contraire, l'autorité contractante a décidé que les termes de référence de l'appel d'offres exigeraient un diplôme universitaire pour le poste de chef de mission. L'article 3.1.1. des Instructions au Soumissionnaire stipule par conséquent que le chef de mission doit posséder un diplôme universitaire. Selon la jurisprudence susmentionnée de la Cour de justice, il appartient à l'autorité contractante d'évaluer le niveau minimum de formation, de qualification et d'expérience professionnelle des candidats. Cette appréciation peut logiquement varier d'un projet à un autre, même si les deux projets présentent de grandes similitudes.

2. Concernant l'allégation de discrimination exercée par la Commission à l'encontre des ingénieurs qui ne possèdent pas un diplôme universitaire, c'est à l'autorité contractante, c'est-à-dire l'État ACP, qu'il appartient d'établir les critères de sélection.

3. Conformément aux articles 35 et 36 de la réglementation générale relative aux marchés de travaux, fournitures et services financés par le Fonds européen de développement, le choix de l'adjudicataire appartient à l'autorité contractante. Néanmoins, conformément à la jurisprudence susmentionnée de la Cour de justice, la Commission a le devoir de veiller au respect des procédures. Elle doit également conseiller l'autorité contractante et les opérateurs économiques pour s'assurer que les exigences des dossiers d'appel d'offres sont respectées. En l'occurrence, le conseiller de la Délégation s'est contenté de signaler à Beller Consult que le chef de mission proposé ne correspondait pas à celui proposé au cours de la procédure d'appel d'offres et que ses qualifications n'étaient pas conformes aux exigences des termes de l'appel d'offres. Le conseiller de la Délégation n'a donc pas outrepassé ses pouvoirs mais s'est contenté d'agir pour veiller au respect de la réglementation du FED. Dans ce contexte, il convient de souligner qu'au cours de la procédure d'appel d'offres, trois candidatures avaient été rejetées parce que les chefs de mission proposés ne possédaient pas de diplôme universitaire.

Les observations du plaignant

Le Médiateur européen a transmis l'avis de la Commission au plaignant en l'invitant à formuler ses observations. Dans sa réponse, le plaignant maintient ses griefs et affirme ce qui suit:

1. La Commission affirme à tort qu'en 1992, le plaignant occupait un poste de chef de mission sur un autre projet de construction de route. Le projet pour lequel la Commission a rejeté la participation du plaignant était le même projet que celui mené en 1992. Le plaignant avait déjà travaillé comme chef de mission sur le projet en 1992. Du fait de son expérience professionnelle, le plaignant était le candidat le mieux placé pour occuper ce poste.

2. Le plaignant réitère sa plainte pour discrimination exercée par la Commission à l'encontre des ingénieurs plus âgés et expérimentés qui ne possèdent pas de diplôme universitaire.

3. L'autorité contractante n'était pas au courant de l'éventuelle participation du plaignant au projet. En fait, le conseiller de la Délégation a pris directement contact avec Beller Consult sans en référer au préalable à l'autorité contractante. D'après la jurisprudence constante de la Cour de justice, citée par la Commission dans son avis, "le respect de la souveraineté des États ACP et des responsabilités qui leur sont réservées par la Convention fait donc obstacle à ce que les agents de la Commission traitent directement, à la place des États ACP, avec les entreprises soumissionnaires ou attributaires de marchés financés par le FED: une telle action constituerait, en effet, une intervention dans un domaine réservé aux seules autorités de ces États". Qui plus est, la Commission a menacé Beller Consult d'annuler la procédure d'appel d'offres.

Le plaignant s'interroge également sur les qualifications professionnelles de l'ingénieur qui a été proposé pour le projet qui a vu le rejet de la candidature du plaignant et demande au Médiateur de les vérifier. Le plaignant estime enfin que la limite d'âge fixée à 60 ans dans les termes de référence est discriminatoire. Le Médiateur constate que ces allégations spécifiques ne faisaient pas partie de la plainte présentée à l'origine et ne seront donc pas examinées dans la décision ci-après.

LA DÉCISION

1 Allégation relative à l'incohérence de la Commission par rapport à ses pratiques précédentes

1.1 Le plaignant a affirmé que le récent rejet de sa participation au projet par la Commission, rejet invoquant la nature de son diplôme, était incohérent par rapport aux pratiques antérieures de la Commission. Entre 1992 et 1994, le plaignant avait travaillé sur un projet identique financé par la Commission.

1.2 La Commission a affirmé qu'il appartenait à l'autorité contractante de déterminer le niveau minimal de formation, de qualification et d'expérience professionnelle requis pour les candidats. Ce niveau peut varier d'un projet à l'autre. Dans ce cas, conformément à l'article 3.1.1 des termes de référence, le chef de mission devait posséder un diplôme universitaire.

1.3 Le Médiateur note que, conformément à la jurisprudence constante des juges communautaires, "La procédure de passation des marchés publics de travaux comporte une répartition des compétences entre la Commission et les autorités de l'État ACP concerné". Les autorités de chaque État ACP ont la responsabilité de préparer, de négocier et de conclure les contrats. La Commission est, elle, responsable de l'adoption de la décision financière et de la bonne gestion des ressources du FED, notamment en veillant au respect des règles de procédures applicables(3).

1.4 En l'occurrence, le plaignant ne pouvait pas participer au projet en raison des dispositions contenues dans les termes de référence adoptés par les autorités maliennes. Par rapport au projet précédent auquel avait participé le plaignant, les autorités maliennes ont adopté des critères plus restrictifs et exigé que le chef de mission possède un diplôme universitaire.

1.5 Dans la mesure où le plaignant ne possédait pas le diplôme requis, rien n'indique que la Commission ait agi de façon incohérente en estimant que la participation du plaignant au projet constituerait une violation des termes de référence adoptés par l'autorité contractante. Le Médiateur estime par conséquent qu'il n'y a pas eu mauvaise administration concernant cet aspect de l'affaire.

2 Allégation de discrimination de la part de la Commission

2.1 Le plaignant affirme qu'en exigeant un diplôme universitaire pour les ingénieurs, la Commission exerce une discrimination à l'encontre de ceux qui ne sont pas diplômés d'une université mais sont plus âgés et expérimentés ainsi qu'à l'encontre de ceux qui possède un diplôme obtenu dans un Institut de travaux publics.

2.2 La Commission estime que les États ACP sont seuls responsables de la définition des critères relatifs aux qualifications minimales. Il appartient donc aux services de l'État ACP de déterminer si un diplôme universitaire constitue un critère de sélection approprié sur le plan qualitatif.

2.3 Comme indiqué au point 1.3 ci-dessus, c'est l'autorité contractante, c'est-à-dire le pays ACP concerné, qui est responsable des critères fixés dans les termes de référence. Le Médiateur en conclut par conséquent qu'il n'y a pas eu mauvaise administration concernant cet aspect de l'affaire.

3 Allégation d'abus de pouvoir de la part de la Commission

3.1 Le plaignant affirme que la Commission a outrepassé ses pouvoirs en rejetant la participation du plaignant au projet. Ce choix appartenait à l'autorité contractante (en l'occurrence, le ministre des Travaux publics et des Transports de la République du Mali).

3.2 La Commission reconnaît que le choix de l'adjudicataire est fait par l'autorité contractante. Elle affirme cependant avoir le devoir de veiller au respect des procédures. Elle doit également conseiller les autorités contractantes et les opérateurs économiques pour s'assurer que les exigences des dossiers d'appels d'offres sont respectées.

3.3 Le Médiateur note que conformément à la jurisprudence de la Cour de justice citée à la fois par le plaignant et la Commission, "Le respect de la souveraineté des États ACP et des responsabilités qui leur sont réservées par la Convention fait donc obstacle à ce que les agents de la Commission traitent directement, à la place des États ACP, avec les entreprises soumissionnaires ou attributaires de marchés financés par le FED: une telle action constituerait, en effet, une intervention dans un domaine réservé aux seules autorités de ces États"(4).

3.4 Cependant le Médiateur note également que "la Commission a non seulement le droit, mais encore le devoir de veiller, dans le cadre des responsabilités qui lui sont conférées en vue d'assurer la bonne gestion des ressources du FED, à ce que les dispositions procédurales applicables en la matière soient respectées"(5).

3.5 Dans le cas présent, Beller Consult, avant d'en informer les autorités maliennes, avait contacté la Délégation de la Commission au Mali pour proposer des solutions visant à remplacer le chef de mission initialement prévu dans sa candidature (fax du 8 février 2000). En réponse à ce courrier, la Commission a informé Beller Consult que la participation du plaignant au projet ne remplissait pas les critères établis dans les termes de référence et risquait de remettre en question le financement du projet. Ce faisant, la Commission est intervenue en tant que contrôleur de la procédure. Elle n'a pas donc outrepassé ses pouvoirs. Le Médiateur en conclut par conséquent qu'il n'y a pas eu mauvaise administration concernant cet aspect de l'affaire.

4 Conclusion

Son enquête l'amenant à conclure qu'il n'y a pas eu en l'occurrence mauvaise administration de la part de la Commission européenne, le Médiateur classe l'affaire.

Le Président de la Commission européenne sera informé de la présente décision.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma considération distinguée.

 

Jacob SÖDERMAN


(1) Arrêt de la Cour du 10 juillet 1984 dans l'affaire 126/83, STS Consorzio per sistemi di telecomunicazione via satellite SpA/Commission, Recueil 1984, p. 2769, points 11 à 19.

(2) Arrêt du 24 juin 1986 dans l'affaire 267/82, Développement SA et Clemessy/Commission, Recueil 1986, p. 1907, points 25 à 27.

(3) voir la note de bas de page n° 2, ci-dessus

(4) voir la note de bas de page n° 1, ci-dessus

(5) voir la note de bas de page n° 2, ci-dessus