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Décision dans l’affaire 42/2017/DR concernant la manière dont la Commission européenne a traité la correspondance du plaignant faisant suite à la clôture de sa plainte contre la France relative à la double imposition des cotisations de sécurité sociale
Decision
Case 42/2017/DR - Opened on Tuesday | 07 February 2017 - Decision on Friday | 21 September 2018 - Institution concerned European Commission ( Settled by the institution )
L’affaire portait sur la manière dont la Commission européenne a traité la correspondance du plaignant dans le cadre de sa plainte contre la France relative à la double imposition de cotisations de sécurité sociale aux personnes résidant en France mais exerçant une activité professionnelle dans un autre État, la Suisse dans ce cas.
Le Médiateur européen a ouvert une enquête et a constaté que la Commission avait fourni au plaignant une explication raisonnable concernant le maintien de sa décision de ne pas ouvrir de procédure d’infraction à l’encontre de la France, et n’a donc pas commis de mauvaise administration. En outre, au cours de l’enquête, la Commission a répondu à une lettre du plaignant qui était restée sans réponse, et a ainsi réglé cet aspect de la plainte.
Le Médiateur européen a donc décidé de clore l’enquête.
Contexte de la plainte
1. Le plaignant et son épouse sont des citoyens français qui résident en France et travaillent en Suisse. Ils ont un enfant, ayant des besoins spéciaux, qui était scolarisé en Suisse depuis 2000. Afin de bénéficier de prestations familiales pour la scolarisation de leur enfant, versées par les autorités administratives françaises, le plaignant et son épouse ont dû payer des cotisations de sécurité sociale en France. Dans le même temps, ils ont aussi payé des cotisations de sécurité sociale en Suisse.
2. Le 1er juin 2002, l’accord sur la libre circulation des personnes entre l’Union européenne et la Suisse[1] (ci-après « l’accord de 2002 ») est entré en vigueur. À partir de cette date, les règles de l’Union relatives à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de l’Union (ci-après «le règlement 1408/71»[2]) sont devenues applicables en Suisse.
3. Entre le 1er juin 2002 et le 31 mars 2004, le plaignant et son épouse ont continué à verser des cotisations de sécurité sociale tant en France qu’en Suisse.
4. En 2011, le plaignant a introduit une plainte auprès de la Commission européenne[3]. Il s’est plaint du fait que la France a enfreint le droit de l’Union[4] en lui demandant de payer des cotisations de sécurité sociale alors que son épouse et lui-même étaient des travailleurs frontaliers et payaient des cotisations sociales en Suisse.
5. En 2012, la Commission a constaté[5] que le plaignant avait effectivement payé des cotisations en France et en Suisse, alors que, en vertu du règlement 1408/71, applicable à la Suisse depuis le 1er juin 2002, il aurait uniquement dû payer des cotisations en Suisse. Selon la Commission, la France aurait dû « annuler » l’obligation pour le plaignant de payer des cotisations de sécurité sociale en France[6]. La Commission a suggéré au plaignant de saisir les juridictions nationales en France pour demander le remboursement de ses cotisations indûment versées. La Commission a également déclaré[7] qu’en cas d’infraction au droit de l’Union, elle prend, sur la base d’une plainte ou de ses propres considérations, les mesures qu’elle juge appropriées. Sur la base de ses règles et des priorités concernant l’ouverture d’une procédure d’infraction, la Commission peut décider d’ouvrir ou non une procédure d’infraction à l’encontre d’un État membre. Dans le cas d’espèce, la Commission a décidé de ne pas le faire. Le plaignant n’ayant pas soumis des nouveaux éléments pour la convaincre de reconsidérer sa position, la Commission a par la suite clos le dossier.
6. Ayant été débouté par les tribunaux nationaux, qui ont rejeté le recours du plaignant pour cause de prescription, et en l’absence de réponse de la part des autorités administratives françaises, le plaignant s’est de nouveau adressé à la Commission en 2015 et 2016.
7. Dans ses réponses de juin et juillet 2015, la Commission a réitéré sa position antérieure selon laquelle les autorités françaises auraient dû « annuler » l’obligation, pour le plaignant, de verser des cotisations de sécurité sociale à compter du 1er juin 2002. Dans une autre lettre du 6 septembre 2016, la Commission a fait référence à sa décision de 2012, et a déclaré que la plainte avait été clôturée parce qu’« il n’y a[vait] pas de violation du droit de l’Union». En outre, elle a indiqué qu’elle ne pouvait pas interférer dans les échanges entre le plaignant et les autorités nationales[8].
8. Dans une lettre du 9 septembre 2016 adressée à la Commission, le plaignant a remis en cause l’affirmation de celle-ci selon laquelle il n’y avait pas eu de violation du droit de l’Union dans son cas. Le plaignant a souligné que la Commission avait précédemment confirmé qu’il y avait eu violation du droit de l’Union et que sa plainte avait été clôturée à la lumière des règles et des priorités de la Commission en ce qui concerne l’ouverture d’une procédure d’infraction, et non parce qu’aucune violation du droit de l’Union n’avait été constatée. Il a demandé à la Commission de rectifier son affirmation et d’ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre de la France.
9. N’ayant pas été satisfait de la décision de la Commission de ne pas poursuivre son enquête dans son cas, et du fait que la Commission n’avait pas répondu à sa lettre du 9 septembre 2016, le plaignant s’est adressé au Médiateur européen en janvier 2017.
L’enquête
10. Le Médiateur européen a ouvert une enquête concernant la manière dont la Commission avait traité la correspondance du plaignant qui faisait suite à la clôture de sa plainte. L’équipe du Médiateur européen en charge de l’enquête a demandé à la Commission de répondre à la lettre du plaignant du 9 septembre 2016 ainsi qu’aux questions soulevées par ce dernier.
11. Au cours de l’enquête, le Médiateur européen a reçu la réponse que la Commission a adressée au plaignant et les commentaires du plaignant à ce sujet. L’équipe du Médiateur européen en charge de l’enquête a également dûment pris en considération toutes les informations pertinentes fournies dans le cadre de la plainte, y compris la correspondance entre le plaignant et la Commission.
Arguments présentés par les parties
12. Le plaignant n’était pas satisfait du fait que la Commission n’avait pas répondu à sa lettre du 9 septembre 2016, et n’avait pas rectifié son affirmation selon laquelle il n’y avait pas eu de violation du droit de l’Union dans son cas. Il n’était pas non plus satisfait du fait que la Commission n’avait pas pris contact avec les autorités françaises pour tenter de trouver une solution à l’amiable au problème. Le plaignant souhaitait que la Commission tente de trouver une telle solution ou, à défaut, ouvre une procédure d’infraction à l’encontre de la France.
13. Dans ses observations concernant la réponse de la Commission, le plaignant a également fait valoir que la Commission n’avait pas mentionné les « critères objectifs » sur la base desquels elle avait décidé de ne pas ouvrir de procédure d’infraction à l’encontre de la France. Il a déclaré que, compte tenu de l’issue de ses actions au niveau national, il incombait à la Commission de veiller à ce que le droit de l’Union soit respecté.
14. Dans sa réponse au plaignant, la Commission a renvoyé aux motifs qu’elle avait avancés dans sa décision de 2012 de clore la plainte[9]. La Commission a déploré la situation du plaignant. Elle a ajouté que, en cas de prétendue violation du droit de l’Union, elle engage toutes les actions qu’elle considère appropriées. À la lumière des règles et des priorités établies, la Commission peut décider s’il est nécessaire d’engager une telle procédure d’infraction ou pas. Dans le cas du plaignant, la Commission a décidé de ne pas ouvrir de procédure. En outre, la Commission a expliqué qu’il appartenait aux juridictions et autorités administratives nationales de veiller à ce que les autorités des États Membres respectent le droit de l’Union. Par conséquent, seules les juridictions nationales peuvent adresser des injonctions aux autorités administratives, annuler des décisions nationales incompatibles avec le droit de l’Union ou octroyer des compensations financières pour les dommages causés par ces mesures[10].
L’évaluation du Médiateur européen
15. Il appartient à la Commission, en sa qualité de gardienne des traités, de veiller à ce que les États membres respectent le droit de l’Union[11]. Cela signifie que la Commission peut ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre d’un État membre qui ne se conforme pas à une obligation découlant des traités. Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [12] qu’une pratique administrative contraire au droit de l’Union doit être, dans une certaine mesure, constante et générale pour permettre à la Commission d’agir. Le but de la procédure d’infraction n’est pas de résoudre des cas spécifiques d’infraction au droit de l’Union à l’égard d’un seul ou d’un petit nombre de citoyens[13]. La Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider si ces pratiques sont suffisamment constantes et générales pour justifier l’ouverture d’une procédure d’infraction. Toutefois, elle doit expliquer pourquoi elle a utilisé son pouvoir d’appréciation d’une manière particulière.
16. En l’espèce, l’affirmation de la Commission, dans sa lettre du 6 septembre 2016, selon laquelle le dossier de la plainte avait été clos parce qu’« il n’y a[vait] pas de violation du droit de l’Union» n’est pas cohérente avec ses affirmations antérieures, en 2012 et 2015, selon lesquelles les autorités françaises auraient dû « annuler » l’obligation pour le plaignant de payer des cotisations de sécurité sociale en France, par lesquelles la Commission a, en fait, reconnu un cas de mauvaise application du droit de l’Union dans le cas du plaignant. Il est vrai que la Commission n’a pas maintenu cette affirmation dans sa réponse qu’elle avait fournie au plaignant au cours de l’enquête du Médiateur européen. Pourtant, elle n’a pas non plus rectifié de façon explicite son affirmation initiale. Ceci est regrettable.
17. Ceci dit, il n’en reste pas moins que c’est à juste titre que la Commission a expliqué au plaignant qu’il incombait aux autorités françaises de respecter le droit de l’Union et de veiller à ce que la France se conforme à celui-ci, tout comme c’est à juste titre qu’elle a conseillé au plaignant, au moment où elle avait décidé de clore le dossier de sa plainte, de poursuivre son cas au niveau national. En effet, les administrations et les juridictions des États membres sont responsables en premier lieu de veiller au respect du droit de l’Union. Elles sont compétentes pour traiter les plaintes et actions des citoyens qui cherchent à obtenir réparation ou une compensation financière pour les dommages qu’ils subissent lorsque des mesures nationales sont contraires au droit de l’Union. Le fait que, dans le cas du plaignant, les juridictions françaises ont finalement rejeté son recours en raison de la prescription n’est pas imputable à la Commission. Cela ne signifie pas non plus que la Commission est tenue de rechercher une solution à l’amiable avec les autorités françaises ou d’engager, en l’absence même d’une pratique nationale générale et constante, une procédure d’infraction à l’encontre de la France afin de pallier au fait que les actions que le plaignant avait engagées au niveau national n’avaient pas abouti.
18. Dès lors, les raisons fournies par la Commission au plaignant sont raisonnables et en accord avec son pouvoir d’appréciation, bien qu’elles aient pu être formulées d’une manière plus cohérente avec ses réponses antérieures et plus informatives pour le plaignant. La Commission aurait ainsi pu mieux expliquer au plaignant qu’elle n’avait pas trouvé de preuve de mauvaise pratique constante ou systémique des autorités françaises concernées en la matière.
19. Le Médiateur européen comprend que le plaignant ne soit pas satisfait de la réponse apportée par la Commission. Toutefois, les informations fournies dans sa plainte ne conduisent pas à conclure que la Commission a commis un cas de mauvaise administration en maintenant sa décision de ne pas ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre de la France. En outre, la Commission a répondu à la lettre du plaignant du 9 septembre 2016, et a donc résolu cet aspect de la plainte.
Conclusions
Sur la base de l’enquête, le Médiateur européen clôt la présente affaire en formulant les conclusions suivantes:
La Commission a répondu à la lettre du plaignant du 9 septembre 2016 et a ainsi réglé cet aspect de la plainte. La Commission n’a pas commis de mauvaise administration en maintenant sa décision de ne pas ouvrir de procédure d’infraction à l’encontre de la France.
Le plaignant et la Commission seront informés de cette décision.
Lambros Papadias
Chef de l’unité 3 - Enquêtes
Fait à Strasbourg le 21/09/2018
[1] Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, JO L 114 du 30.4.2002, p.6.
[2] Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, JO L 149 du 5.7.1971, p.2.
[3] Pour savoir plus sur la manière dont la Commission traite les plaintes signalant une infraction présumée au droit de l’UE : https://ec.europa.eu/info/about-european-commission/contact/problems-and-complaints/how-make-complaint-eu-level/submit-complaint_fr
[4] Le Règlement 1408/71 et l’accord de 2002 entre l’UE et la Suisse.
[5] Dans une lettre du 12 juin 2012.
[6] Dans le texte original: « Comme vous étiez assurés en Suisse, les contributions au système français n'étaient pas nécessaires pour avoir droit aux prestations familiales qui couvraient la scolarisation de votre [enfant] (...). Les autorités françaises compétentes auraient dû annuler l’obligation de verser des cotisations en France».
[7]Dans une lettre du 13 juillet 2012.
[8] Dans le texte original: « Je déplore votre situation, mais étant donné qu’il n’y a pas de violation du droit de l’Union, la Commission n’est pas compétente pour agir. En outre, veuillez noter que la Commission ne peut interférer dans les échanges que vous avez avec vos autorités nationales ».
[9] Motifs indiqués dans les lettres de la Commission du 12 juin et du 13 juillet 2012 adressées au plaignant, et réitérés dans une autre lettre du 11 avril 2014. Voir paragraphe 5 ci-dessus.
[10] Dans le texte original: « En outre, comme vous le savez peut-être, ce sont les juridictions et les instances administratives nationales qui sont chargées en premier lieu de veiller à ce que les autorités des États membres respectent le droit de l’Union. Seules les juridictions nationales peuvent adresser une injonction à un organe administratif, annuler la décision des autorités nationales ou octroyer des dommages-intérêts pour non-respect du droit de l’Union par l’administration d’un État membre ».
[11]Article 17, paragraphe 1, du Traité sur l’Union européenne et article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
[12]Voir, par exemple, l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-287/03, Commission/Belgique, ECLI:EU:C:2005:282, point 29.
[13] En tout état de cause, même si la Commission saisit la Cour de justice, la Cour statue sur la question de savoir si une infraction au droit de l’Union a été commise, mais elle ne peut pas annuler une disposition nationale incompatible avec le droit de l’Union, ni forcer une administration nationale à répondre à la demande d’un particulier, ni ordonner à l’État membre concerné de verser des dommages et intérêts à une personne lésée par une violation du droit de l’Union. Pour ce faire, les plaignants doivent porter leur affaire devant une juridiction nationale dans le délai fixé par le droit national.
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